[DÉBAT] La fédération internationale annonçait en automne dernier la rupture avec La Grande Course. Mais des voix s’élèvent pour mettre fin à la guerre des tranchées.
L’idylle entre l’ISMF et La Grande Course a vécu un divorce le 5 octobre 2018. Par voie de communiqué de presse, l’institution faîtière décidait que les points du circuit international ne compteraient plus dans le classement mondial dès la saison suivante.
Conséquence, la spécialisation des athlètes se renforce, observe le Valaisan Julien Ançay. Les fédérations suivent le jeu de l’ISMF et leurs athlètes ont alors commencé à déserter les compétitions de La Grande Course. «Aujourd’hui, un top-5 à la Pierra Menta paraît plus accessible qu’auparavant», estime l’espoir de Fully (VS). En 2020, cependant, les Français Blanc-Favre ne seront pas les seuls à lutter pour une place sur le podium, avec la présence de la paire française Bon Mardion-Gachet, des Suisses Werner Marti et Rémi Bonnet ou de l'Espagnol Kilian Jornet (accompagné de l'Autrichien Jakob Hermann).
La collaboration a du bon
L’histoire avait commencé en 2015 quand l’assemblée générale de l’ISMF approuvait à Stockholm (Suède) l’entrée du circuit dans le calendrier international. «C'était une étape indispensable pour permettre une meilleure coordination du calendrier international», se félicitait Armando Mariotta, président de l’époque. En 2010, la première tentative de rapprochement avait échoué.
«Un accord de collaboration présente toujours des aspects positifs. En effet, les parcours sont différents que ceux des Coupes du Monde.»
«Une déclaration de guerre»
Jusqu’à peu, l’union faisait la force. Mais les conflits d’intérêt et les guerres d’égo ont eu raison d’elle. «Lorsque l’ISMF a décidé de ne pas changer la date des Mondiaux de Villars-sur-Ollon (VD) de mars 2019, La Grande Course a interprété cela comme une déclaration de guerre», raconte Armindo Mariotta. «Pour moi, c’était aux organisateurs de la Pierra Menta de changer ses dates».
Fils d’une famille de grands sportifs, Julien Ançay nuance les propos de l’ex-président de l’ISMF. «Sur le circuit de la Coupe du Monde, le niveau est relevé. À l’inverse, sur celui de La Grande Course, il est très indépendant. Nous nous dirigeons vers une division de notre sport. Pour moi, elle est malheureusement inévitable».
Le dopage, autre bémol d’une rupture
Si les différences de niveau se font ressentir, la lutte antidopage souffre de l’actuelle scission. Seule l’ISMF est accréditée par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) pour effectuer des contrôles. Les épreuves hors du calendrier ISMF n’auraient par conséquent plus de chaperons. Une tare pour un sport dont l’ambition demeure olympique.
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Les athlètes, le dindon de la farce ?
Qui dit rêve de cimes olympiques, dit internationalisation du calendrier. Telle est du moins la politique de l’ISMF.
Pour la réflexion, il est indispensable que les pays sud-américains, par exemple, s’investissent davantage. «Dans trois ou quatre ans, nous pouvons très bien imaginer une Coupe du Monde entre septembre et avril. Ce serait important», juge Mariotta.
«L’ISMF prend des décisions qui vont à l’encontre des attentes des athlètes», tranche Julien Ançay. «Envoyer une équipe complète en Chine coûte extrêmement cher, d’autant plus dans un sport où l’argent est difficile à trouver», argumente le jeune cadre du CAS.
«Des Coupes du Monde hors d’Europe? Oui, à condition de respecter certains standards», enchaîne Maximilien Drion, de Vercorin (VS). Entendez par-là, ne connaître aucun problème de chronométrage ou de conditions d’enneigement.
«Les anciens, en tout cas, peinent à voir cette évolution».Les récentes excursions asiatiques de l’ISMF corroborent les propos de Julien Ançay. Les retombées, en termes de visibilité notamment, sont quasiment nulles pour ces jeunes loups.
Fraîchement élu président de l’ISMF, l’Argovien Thomas Kähr entend replacer l’athlète et le sport au centre des réflexions. «Ce sont eux qui sont les promoteurs du sport», estime-t-il.
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Enterrer la hache de guerre
«Je prends toujours l’exemple du pianiste», nous murmure à l’oreille Grégoire Jirillo, le chef de l’Office cantonal valaisan du sport. «La Grande Course, c’est comme un concerto. Le sprint, en revanche, ce sont les gammes. Il faut de tout pour la beauté de ce sport. À la fin, nous devons nous mettre ensemble», insiste-t-il.
Et Thomas Kähr de soutenir : «Nous sommes membres de la même famille -une petite famille-. Les pourparlers vont démontrer comment nous pouvons collaborer dans le futur».Actuellement, l’avocat de formation a établi des relations avec les responsables de La Grande Course. «Je suis convaincu que nous avons plus de points qui nous réunissent que ceux qui nous séparent».
«En termes de cohérence, il est plus judicieux de se réunir», appuie Maximilien Drion, représentant des athlètes auprès de l’ISMF. «Des efforts ont été fournis par la fédération internationale pour éviter les coïncidences de calendrier lors de la présente saison. Depuis que nous sommes rentrés dans la discussion avec l’ISMF, nous avons clairement ressenti une différence».
«Lors de la séparation, il y a eu de l’incompréhension. Des problèmes d’égo, aussi. Chacun a tiré à sa propre corde», poursuit Jirillo. «Nous ne sommes pas assez nombreux pour se tirer dessus. À l’époque, le système a été complètement déstabilisé».
Le 27 novembre passé, La Grande Course tenait la séance de son comité directeur. Tout laisse présager qu’une entente est jouable dans un avenir proche. «Donner le titre à celui qui met les peaux le plus vite n’a pas de logique», estime Grégoire Jirillo. Ainsi, dès la saison 2020-21, le feu devrait passer au vert pour un nouvel accord ISMF-La Grande Course.
Et le Valaisan de conclure avec diplomatie: «Si nous avons la volonté, nous pouvons tout faire. Si nous ne voulons pas, nous trouvons des excuses».
SkiMo
Photos: Gérard Berthoud